Ce mercredi en Turquie le journaliste Can Dündar a été condamné à plus de 27 ans de prison. Il a été reconnu coupable d’aide à un groupe terroriste et d’espionnage pour avoir publié en 2015 une enquête sur des livraisons d’armes par les services secrets turcs en Syrie. Exilé depuis 2016 en Allemagne, le journaliste avait déjà été condamné il y a quatre ans à 5 ans et dix mois de prison pour divulgation de secrets d’État. Cette peine avait ensuite été annulée par une Haute cour pour organiser un second procès où il risquait davantage.
Can Dündar : Rien ne me surprend plus, venant de Turquie. Il n’y a plus de justice indépendante, elle dépend entièrement du gouvernement. La colère d’Erdogan est si grande à cause de cette enquête qu’il veut mettre une pression maximale sur les juges. Parce que cette enquête portait sur les services secrets turcs vendant des armes aux djihadistes en Syrie. C’était une opération mise en place par Erdogan, une opération illégale, et il a peur d’être mis sous pression par la communauté internationale, ou même par la justice internationale. Il a donc dit que c’était une conspiration contre lui, et en me punissant il veut montrer à tous les journalistes les conséquences qu’ils risquent s’ils réalisent ce genre d’enquêtes. Malheureusement aujourd’hui plus personne ne peut faire ce genre de reportages en Turquie.
D’un autre côté, c’est un signe de faiblesse : cela montre qu’il a peur des médias libres, et qu’il ne peut pas affronter une enquête qui dit la vérité. Il sait que c’est vrai, il ne peut pas dire le contraire, tout ce qu’il peut faire c’est essayer de mettre un tampon « top secret » sur le reportage et essayer de punir le journaliste en l’accusant d’être un espion.
Oui, mais évidemment ils travaillent dans des conditions très dures. Certains d’entre eux sont en prisons, d’autres doivent se rendre tous les jours au tribunal. Et si vous envoyez un tweet ou retweetez quelque chose contre le gouvernement, le matin tôt vous pouvez trouver la police devant votre porte… Ce sont donc des temps très difficiles pour les médias turcs. La Turquie est aujourd’hui la deuxième plus grande prison dans le monde pour les journalistes après la Chine.
Vous dites que ce verdict est un signe de faiblesse de la part de Recep Tayyip Erdogan : la prochaine élection sera en 2023, pensez-vous que le président restera au pouvoir ?
L’opposition pousse pour des élections anticipées, et je pense que la Turquie va vite se débarrasser de cet horrible cauchemar. Mais il va tout faire pour empêcher des élections anticipées, et pour les manipuler. C’est pour cette raison qu’il crée des crises internationales, pour récupérer du pouvoir. C’est pour cela que la Turquie a des problèmes en Méditerranée, en Azerbaïdjan, en Syrie, en Europe, particulièrement avec la France. Donc il essaie de continuer ces combats justes pour rester fort dans le pays, tout ça, c’est de la politique interne. Mais économiquement, politiquement, il est à son plus bas depuis qu’il est au pouvoir, depuis ces vingt dernières années.